III. La loi El Khomri vue par un avocat européen expert en franchise 14/21

  • Créé le : 24/08/2016
  • Modifé le : 10/02/2020

De nombreux contrats de franchise exécutés au sein des pays membres de l’Union européenne ou ailleurs prévoient leur soumission à la loi française et aux juridictions françaises, très souvent le Tribunal de Commerce de Paris ou des chambres d’arbitrage. Beaucoup de contrats de franchise exécutés en Belgique et ailleurs en Europe ou dans le monde sont soumis à la loi française.

AC Franchise a donc demandé à Pierre Demolin, un avocat Belge expert de la franchise de nous donner son éclairage sur les mutations du droit français applicable aux contrats de franchise. Sa réponse sur l’évolution du droit de la distribution commerciale en France vu de la Belgique est structurée en 3 parties :
I. La réforme du droit des contrats en France (suivez le lien)
II. La loi Macron  (suivez le lien)
III. La loi El Khomri  (ci-dessous)

D’autre part le congrès franco-belge de la franchise organisé le 13 septembre à Lille au salon Créer permettra aux franchiseurs, masters-franchisés et experts d’échanger sur ce sujet et de nouer de précieux contacts.

A) La disposition de la loi El Khomri qui fâche

La loi El Khomri (dite loi Travail) prévoit une disposition qui a entraîné la Fédération Française de la Franchise à monter au créneau pour demander qu’elle soit modifiée[18] .

Il s’agit de l’instauration au sein des réseaux de franchise comportant plus de 300 salariés d’une instance de dialogue social commune à l’ensemble du réseau comprenant des représentants des salariés et des franchisés présidée par le franchiseur, et ce à la demande d’au moins une entreprise du réseau ou d’une organisation syndicale représentative au sein de la branche ou de l’une des branches dont relèvent les entreprises du réseau ou ayant constitué une section syndicale au sein d’une entreprise du réseau.Cette disposition suscite l’irritation des franchiseurs dans la mesure où, par nature, franchisés et franchiseurs sont des entreprises strictement indépendantes comme le sont les entreprises des franchisés entre elles. Obliger un franchiseur à créer une instance de dialogue regroupant tous les salariés des franchisés avec lesquels il n’a aucune relation contractuelle afin de partager l’organisation, la gestion et la stratégie du réseau de franchise n’aurait aucun fondement tant sur le plan économique que juridique. Les franchiseurs ne sont en effet pas les patrons des franchisés qui sont eux-mêmes les seuls patrons de leurs salariés.

Tout cela ferait du franchiseur l’employeur conjoint des salariés des franchisés sur certains points, notamment la formation ou les obligations de reclassement en cas de difficultés économiques. Finalement, un réseau de franchise serait une grande entreprise et ce serait la fin des entreprises franchisées juridiquement et financièrement indépendantes.

Un manifeste a été adressé le 22 juin 2016 au Président de la République par 16 fédérations et groupements professionnels demandant le retrait de l’article 29bis A du projet de  loi qui remet en cause le principe même de la franchise et menace les commerces, les services, les emplois, les professionnels et les clients de ces secteurs.

La loi a cependant été adoptée le 21 juillet 2016 par recours à l’article 49.3 de la Constitution[19]. Les plaintes des franchiseurs et des groupements professionnels n’ont donc pas empêché l’adoption de la loi.

C’est l’article 64 de la loi qui prévoit cette nouvelle instance. Il est libellé comme suit :

I. – Dans les réseaux d’exploitants d’au moins trois cents salariés en France, liés par un contrat de franchise mentionné à l’article L. 330-3 du code de commerce qui contient des clauses ayant un effet sur l’organisation du travail et les conditions de travail dans les entreprises franchisées, lorsqu’une organisation syndicale représentative au sein de la branche ou de l’une des branches dont relèvent les entreprises du réseau ou ayant constitué une section syndicale au sein d’une entreprise du réseau le demande, le franchiseur engage une négociation visant à mettre en place une instance de dialogue social commune à l’ensemble du réseau, comprenant des représentants des salariés et des franchisés et présidée par le franchiseur.
L’accord mettant en place cette instance prévoit sa composition, le mode de désignation de ses membres, la durée de leur mandat, la fréquence des réunions, les heures de délégation octroyées pour participer à cette instance et leurs modalités d’utilisation.
A défaut d’accord :
1° Le nombre de réunions de l’instance est fixée à deux par an ;
2° Un décret en Conseil d’Etat détermine les autres caractéristiques mentionnées au deuxième alinéa.
Les membres de l’instance sont dotés de moyens matériels ou financiers nécessaires à l’accomplissement de leurs missions. Les dépenses de fonctionnement de l’instance et d’organisation des réunions ainsi que les frais de séjour et de déplacement sont pris en charge selon des modalités fixées par l’accord [Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-736 DC du 4 août 2016.]
Lors de sa première réunion, l’instance adopte un règlement intérieur déterminant ses modalités de fonctionnement.
Lors des réunions mentionnées au deuxième alinéa et au 1° du présent I, l’instance est informée des décisions du franchiseur de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail ou les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle des salariés des franchisés.
Elle est informée des entreprises entrées dans le réseau ou l’ayant quitté.
L’instance formule, à son initiative, et examine, à la demande du franchiseur ou de représentants des franchisés, toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, d’emploi et de formation professionnelle des salariés dans l’ensemble du réseau ainsi que les conditions dans lesquelles ils bénéficient de garanties collectives complémentaires mentionnées à l’article L. 911-2 du code de la sécurité sociale.
Un décret en Conseil d’Etat fixe les conditions d’application du présent I, en particulier le délai dans lequel le franchiseur engage la négociation prévue au premier alinéa du présent I.

II. – Les organisations syndicales et les organisations professionnelles des branches concernées établissent un bilan de la mise en œuvre du présent article et le transmettent à la Commission nationale de la négociation collective au plus tard dix-huit mois après la promulgation de la présente loi.

B) Commentaires sur cette disposition de la Loi Travail

Il convient de relever que cette instance de dialogue ne doit pas se substituer aux instances de délégation du personnel telles que les comités d’entreprises. Son objet est d’organiser, dans les réseaux de franchise comportant au moins 300 salariés une concertation entre le franchiseur, les franchisés et leurs travailleurs salariés lorsque deux conditions sont remplies :

1.    Le contrat de franchise  contient des clauses ayant un effet sur l’organisation du travail et les conditions de travail dans les entreprises franchisées ;

2.    Une  organisation syndicale représentative au sein de la branche ou de l’une des branches dont relèvent les entreprises du réseau ou ayant constitué une section syndicale au sein d’une entreprise du réseau le demande
Le franchiseur doit informer cette instance de toute décision de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail ou les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle des salariés des franchisés et doit aussi informer l’instance des entreprises qui sont entrées dans le réseau ou qui l’ont quitté.
L’instance a pour objet de négocier  toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, d’emploi et de formation professionnelle des salariés des franchisés. Apparemment, elle n’a pas d’autres pouvoirs.
Cette disposition est-elle donc de nature à susciter les réactions très vives dont il a été fait mention ci-dessus ? Une réflexion s’impose sur cette question.

Tout d’abord, il faut que le contrat de franchise contienne des clauses ayant un effet sur l’organisation du travail et les conditions de travail des salariés des franchisés. Le problème sera de déterminer si un contrat de franchise contient de telles clauses. Le fait de prévoir que le franchisé doit ouvrir son point de vente 7 jours sur 7 ou ne peut fermer son point de vente durant certaines périodes de l’année est-il suffisant ? Et si le contrat de franchise ne contient aucune disposition expresse sur l’organisation du travail,  pourra-t-on déduire de certaines clauses du contrat qu’elles auront une conséquence sur cette organisation ? Le débat est ouvert …

Ensuite, il faudra qu’au préalable une organisation syndicale existe et prenne l’initiative de demander l’instauration de cette instance de dialogue.

Enfin, l’existence d’un dialogue sur la question de l’organisation du travail et de  l’évolution du réseau (entrée et sorties de franchisés) est-il un obstacle à la bonne gestion d’un réseau de franchise ?  Dans certains réseaux, des instances de dialogue entre franchiseur et franchisés existent déjà. Dans certaines fédérations de la franchise, les franchisés ont le droit de parole (en France et en Belgique notamment). Ajouter au dialogue les représentants des salariés des franchisés est-il dommageable ? Permettre une meilleure compréhension de l’organisation du travail au sein des réseaux par toutes les parties concernées est-il un bien ou un mal ? On peut se demander si des conflits sociaux pourraient  être suscités par cette instance ou si au contraire ils pourraient être évités ou réglés plus facilement. On peut aussi se demander si cette initiative législative ne rejoint  pas  les principes de loyauté et de transparence que le Code européen de la franchise  promeut .

C’est un début de réflexion qui devrait être nourri par l’échange d’idées provenant  avant tout des entrepreneurs actifs dans le secteur de la franchise. Aujourd’hui, il est trop tôt pour se faire une opinion définitive sur un texte de loi qui vient d’être promulgué.

Note d’AC Franchise : Justement, nous venons de publier un dossier en 13 pages sur l’instance de dialogue social dans les réseaux de franchise telle que la loi Travail El Khomri la rend obligatoire.

Notes

[18] Article 29bis A du projet de loi.
[19] Loi  n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. JORF n°0184 du 9 août 2016).

Maître Pierre Demolin du cabinet DBB membre de la fédération belge de la franchise

A propos de Pierre DEMOLIN

Pierre DEMOLIN est avocat à Bruxelles et à Paris. Il est l’un des fondateurs du cabinet d’avocats DBB Law (cabinet implanté à Bruxelles, Soignies, Mons, Charleroi, Luxembourg et Paris). Parmi ses fonctions et qualifications nous retiendrons qu’il est membre du Collège des experts et de la commission juridique de la Fédération Belge de la Franchise, arbitre en matière de droit de la distribution (franchise, agence internationale, concession de vente) et Président de la Commission d’arbitrage instituée en application de la loi belge du 19 décembre 2005 sur l’information précontractuelle en matière de contrats de partenariat commercial. Expert reconnu par le monde de la franchise, il est aussi l’auteur de nombreuses publications.

En mai 2016, avec Gilbert Lardinois, il a créé la section belge du Franchise Business Club fondé en 2011 par Jean Samper d’AC Franchise.

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