De nombreux contrats de franchise exécutés au sein des pays membres de l’Union européenne prévoient leur soumission à la loi française et aux juridictions françaises, très souvent le Tribunal de Commerce de Paris ou des chambres d’arbitrage. Beaucoup de contrats de franchise exécutés en Belgique et ailleurs en Europe ou dans le monde sont soumis à la loi française.
AC Franchise a donc demandé à Pierre Demolin, un avocat Belge expert de la franchise de nous donner son éclairage sur les mutations du droit français applicable aux contrats de franchise. Sa réponse sur l’évolution du droit de la distribution commerciale en France vu de la Belgique est structurée en 3 parties :
I. La réforme du droit des contrats en France (ci-dessous)
II. La loi Macron (suivez le lien)
III. La loi El Khomri (suivez le lien)
D’autre part le congrès franco-belge de la franchise organisé le 13 septembre à Lille au salon Créer permettra aux franchiseurs, masters-franchisés et experts d’échanger sur ce sujet et de nouer de précieux contacts.
A) La genèse de la réforme du droit des contrats en France
Le droit des contrats français reposait jusqu’en 2016 sur les dispositions du Code civil en vigueur depuis 1804. Il s’agit du Code Napoléon, transposé en Belgique où il est toujours d’application[1], a pour fondement la liberté contractuelle comme source de la force obligatoire du contrat [2].
Cette liberté contractuelle a entraîné progressivement de nombreux abus, ce qui a provoqué l’interventionnisme de l’Etat pour protéger les contractants les plus faibles. C’est ainsi que des règles particulières ont été établies pour certains contrats, notamment les contrats de baux commerciaux et les contrats avec les consommateurs.
En matière de franchise et de commerces organisés sous contrat, la France connaît la loi Doubin[3] et son décret d’application du 4 avril 1991 qui oblige le franchiseur à transmettre au candidat franchisé un document d’information précontractuelle et un projet de contrat au moins 20 jours avant la signature ou le versement d’une somme d’argent.
En Belgique, une initiative similaire a été prise par le Parlement qui a voté la loi du 19 décembre 2005 relative à l’information précontractuelle dans le cadre d’accords de partenariat commercial qui prévoit la remise d’un document d’information précontractuelle et d’un projet de contrat au moins un mois avant la signature du contrat avec interdiction pour le candidat de contracter une quelconque obligation durant cette période d’un mois. La loi a été amendée par la loi du 2 avril 2014 qui a inséré ces dispositions au Titre 2 du Livre X du Code de droit économique[4] .
Par la loi 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, le gouvernement français a été autorisé à prendre par voie d’ordonnance les mesures permettant de modifier la structure et le contenu du livre III du Code civil.
B) L’ordonnance du 10 février 2016
L’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a été publiée au Journal Officiel français le 11 février 2016. Cette ordonnance s’applique aux contrats conclus après le 1er octobre 2016, les contrats antérieurs restant soumis à la loi ancienne, sauf exception. Le projet de loi n° 3928 a été déposé le 6 juillet 2016 pour un examen en première lecture et renvoyé à la commission des lois de l’Assemblée nationale le 7 juillet. La ratification par le Parlement n’est cependant pas un obstacle à l’entrée en vigueur du texte. En effet, une fois le projet de loi de ratification déposé, il n’existe aucune obligation faite au législateur d’adopter la loi de ratification dans un délai donné.
Il n’est évidemment pas possible de détailler tous les principes se trouvant dans cette réforme mais on peut retenir notamment ce qui suit :
1) Les conditions de validité du contrat
Un nouveau cas de violence constitutif d’un vice de consentement a été établi : il y a violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif[5]. Il n’est pas impossible que des franchisés français puissent se prévaloir de cette disposition pour faciliter les demandes formulées en justice dans le but d’obtenir l’annulation d’un contrat.
2) Le contenu du contrat
Il est prévu que toute clause créant un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties est réputée non écrite[6]. L’existence d’un contrat de franchise équilibré, c’est-à-dire répartissant équitablement les droits et obligations des parties, sera donc importante pour éviter la sanction prévue par l’article 1171 nouveau du Code civil.
3) Le principe de la bonne foi
Ce principe est consacré au stade des négociations précontractuelles et de la formation des contrats[7]. Il est prévu notamment que la partie qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. La charge de la preuve d’un défaut d’information incombe à la partie qui s’en prévaut. Le manquement à cette obligation d’information pourra entraîner la nullité du contrat sur le fondement d’un vice de consentement. Tout le monde comprendra que cette disposition a une importance fondamentale pour la validité des contrats de franchise puisque, au-delà de l’information précontractuelle telle qu’elle est régie par des dispositions particulières figurant dans le Code de commerce[8], le principe général de la bonne foi est renforcé par les précisions apportées dans les nouveaux articles du Code civil[9].
4) L’exécution du contrat
Lorsqu’une partie ne respecte pas un engagement, il sera possible, après mise en demeure, d’en faire assurer l’exécution aux frais du débiteur sans autorisation judiciaire préalable[10] ou d’accepter une exécution imparfaite de l’obligation en sollicitant une réduction du prix convenu[11] ou de mettre fin purement et simplement au contrat de manière unilatérale[12]. Rien n’interdit de penser que des franchiseurs ou des franchisés pourront se trouver dans de telles situations.
5) La force obligatoire du contrat
La théorie de l’imprévision est introduite dans le Code civil français. Cela permet à une partie de demander de renégocier un contrat dès lors qu’un changement de circonstance imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque. En cas de renégociation ou d’échec de celle-ci, les parties pourront demander à un juge de procéder à une révision du contrat ou d’y mettre fin[13]. Des situations de ce genre pourront se présenter dans l’exécution de contrats de distribution commerciale, par exemple un changement radical du marché où opère le distributeur ou une situation involontaire rendant impossible ou non rentable l’exploitation d’un commerce, notamment l’exécution de travaux publics à proximité d’un point de vente rendant celui-ci inaccessible partiellement ou totalement.
6) Les modes de preuve
Une copie fiable reçoit la même force probante que l’original[14]. Cela facilitera la constitution d’un dossier en cas de litige entre les parties.
C) Les pouvoirs du juge
Les pouvoirs du juge français s’accroissent : c’est lui notamment qui devra constater le déséquilibre significatif dans le contrat d’adhésion et il faudra être attentif à la jurisprudence permettant de connaître la matière dont les juges apprécieront les termes « raisonnable », « grave », « légitime » qui apparaissent dans de nombreux articles du Code civil. L’appréciation du juge devrait rejoindre l’équité puisque le Code civil le prévoit expressément[15] ..
D) Conclusion
Les parties à un contrat de distribution commerciale soumis à la loi française devront porter une grande attention à cette réforme car ses dispositions touchent au fondement du droit civil.
La réforme du droit français des contrats est donc très importante pour tous les praticiens du droit qui négocient ou vérifient la validité d’un contrat de distribution commerciale soumis à la loi française.
A propos de Pierre DEMOLIN
Pierre DEMOLIN est avocat à Bruxelles et à Paris. Il est l’un des fondateurs du cabinet d’avocats DBB Law (cabinet implanté à Bruxelles, Soignies, Mons, Charleroi, Luxembourg et Paris). Parmi ses fonctions et qualifications nous retiendrons qu’il est membre du Collège des experts et de la commission juridique de la Fédération Belge de la Franchise, arbitre en matière de droit de la distribution (franchise, agence internationale, concession de vente) et Président de la Commission d’arbitrage instituée en application de la loi belge du 19 décembre 2005 sur l’information précontractuelle en matière de contrats de partenariat commercial. Expert reconnu par le monde de la franchise, il est aussi l’auteur de nombreuses publications.
En mai 2016, avec Gilbert Lardinois, il a créé la section belge du Franchise Business Club fondé en 2011 par Jean Samper d’AC Franchise.
Notes
[1]Étant précisé que certains articles ont été modifiés en Belgique au fil du temps et que la jurisprudence belge a parfois adopté des solutions différentes, pour un même article, de la jurisprudence française.
[2] Article 1134 du Code civil de 1804 repris par l’article 1103 du nouveau code français. Le fondement de la liberté contractuelle reste donc d’actualité en France. En Belgique, l’article 1134 est toujours d’application dans sa numérotation initiale.
[3] Loi du 31 décembre 1989 – Actuellement, article L.330-3 du Code de commerce.
[4]Voir P. DEMOLIN, L’information précontractuelle et la Commission d’arbitrage, les dossiers du J. T., Larcier ; Bruxelles, 2014.
[5] Article 1143 nouveau du Code civil.
[6]Article 1171 nouveau du Code civil. On trouve de telles dispositions dans le Code de la consommation et le Code de commerce.
[7]Articles 1104 et 1112 nouveaux du Code civil.
[8] Dans lequel ont été incluses les dispositions de la loi Doubin relatives à l’information d’obligation précontractuelle applicable, notamment, au contrat de franchise.
[9] Même si ce principe de bonne foi était déjà d’application auparavant mais sans les précisions figurant dans les nouvelles dispositions. Ce principe est toujours prévu par le Code civil belge en son article 1134.
[10]Article 1221 nouveau du Code civil.
[11]Article 1222 nouveau du Code civil. [12]Article 1225 nouveau du Code civil.
[13]Article 1195 nouveau du Code civil
[14]Article 1379 nouveau du Code civil.
[15]Ce que l’article 1194 prévoit en reprenant le libellé de l’ancien article 1135 : les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi.