Petit, il voulait être joueur de rugby. De cette ambition lui reste cette classe de gentleman bagarreur. Il se définit d’ailleurs comme « pugnaceau-delà du raisonnable ». Ses proches collaborateurs, habitués à canaliser l’énergie créatrice de ce patron atypique, confirment l’autocritique. C’est que Jean-Claude Puerto-Salavert appartient à ces personnages qui passent par la fenêtre quand la porte leur est fermée. « Les moyens conventionnels ne marchent pas » confirme-t-il, tout en concédant que, pour faire d’Ada l’enseigne pionnière de la location discount en France et construire ensuite Ucar à partir de rien (400 agences et 800 salariés et franchisés aujourd’hui), il a payé de sa personne « des années de stress et d’insomnies ». Voila une concession inattendue tant l’homme, bien que pressé, est souriant, vif et prompt aux éclats de rire décontractés. Alors, d’où ce fils d’une coiffeuse et d’un modeste quincaillier vivant dans le Lot-et-Garonne tire-t-il cette inextinguible soif d’entreprendre ? « J’avais sûrement des frustrations à exprimer » dit-il avant d’ajouter : « j’aurais été révolutionnaire si on m’avait empêché de réussir. »
L’Amérique
Le point de départ de son aventure commence en 1987, à son retour des Etats-Unis, où il a obtenu un MBA à Hartford. Il a 30 ans. Outre-atlantique, le créateur d’entreprise est un héros, et cela fait rêver Jean-Claude, shooté à la mentalité américaine. Mais en France, surtout dans l’industrie de la location automobile, subordonnée à celle de l’automobile et monopolisée par les géants internationaux du secteur, c’est un parcours semé d’embûches qui attend le jeune entrepreneur. Il les contournera, lui qui avait débarqué chez Profinance pour demander au capital-risqueur de l’accompagner dans le rachat d’une fabrique de briques réfractaires en Dordogne ! La rencontre avec le fondateur d’Ada, dont l’enseigne a été créée trois ans plus tôt, le place à la tête d’un tout autre enjeu.
L’aventure Ada
Il promet de faire des merveilles. Il fera des miracles. Mission : démocratiser la location de voitures avec des tarifs journaliers de 300 francs, contre les 900 pratiqués usuellement, et faire d’Ada la première grande enseigne populaire du marché. Cinq ans après, la société vaut 300 millions de francs. Nain dans un univers de mammouths, il y arrive en tentant d’abord de louer des voitures d’occasion. Mais c’est par la grâce et l’entremise d’un concessionnaire Opel (qui convainc son concédant de lui vendre du volume remisé) que la société décolle. Loin des quartiers huppés, les agences Ada « comme pour les charters » louent sans discontinuer leurs voitures, sans intermédiaires, et calculent leurs frais fixes au plus juste. Les franchisés lavent eux-mêmes leur parc, et BNP finance la première publicité S’ensuit la success story que l’on connaît, portée par la dévotion emblématique de ses dirigeants. Puis vient le temps d’investir les gares et les aéroports.
Face au veto des chambres de commerce et d’industrie, Jean-Claude Puerto et c’est bien là sa signature prend les politiques en otage en achetant une page entière de publicité dans les quotidiens Libération, L’Equipe et Le Monde pour apostropher Mme Trautmann et MM Ayrault, Barre, Frèche, Gaudin, Juppé et Peyrat.
Une avancée de plusavant de se faire débarquer par l’actionnaire majoritaire en 1997. Ada valait presque 1 milliard de francs.
Il a beau aimer le bateau et la voile, la vie oisive de riche rentier lui apparaît comme pure théorie. Il réalise que le succès n’immunise pas. Il ne veut pas innover, mais reste convaincu « qu’il y a un vrai marché »ou plutôt plusieurs, puisque Ucar, créé en 1999, repose sur la location de véhicules de courtoisie (150 corners dans les concessions aujourd’hui) et la location longue et courte durée de véhicules adaptés aux besoins des consommateurs à des tarifs low cost.
Ucar ou la promotion de l’usage
La nouvelle firme prend son envol sur un spectaculaire coup marketing dont il a (presque) seul le secret : un package destiné aux jeunes, leur offrant une voiture neuve (Hyundai Atos) pour 999 francs par mois. Le Parisien relaie l’info, et c’est la ruée dans les locaux de l’agence de pub de la société, qui n’avait pas encore d’adresse !
Pour Ucar, Jean-Claude Puerto osera aussi les premières publicités comparatives et publiera même un ouvrage intitulé Pour le prix de ce livre, vous pourriez avoir une voiture.
Aujourd’hui, son entreprise a l’âge de raison. Puerto y règne comme un consultant « absent de l’opérationnel ». L’opposé du dirigeant « vertical et horizontal » qu’il fut.
« Le seul qui me paye la finale, c’est le consommateur. Je travaille pour lui » assure t il. Sa pugnacité reste intacte : « la victoire s’obtient toujours dix secondes après avoir eu envie d’abandonner ».
L’avenir dira si cet original et efficace patron saura être pour l’automobile ce que Jacques Maillot fut pour le transport aérien.
Vu dans Auto Info n°66