Jusqu’à une période récente, cette obligation ne concernait pas les réseaux de franchise puisque les franchisés sont des commerçants indépendants, ce qui veut dire qu’il ne s’agit pas d’un groupe de sociétés ; les seules exceptions concernaient les réseaux dans lesquels il était habituel d’opérer des permutations de personnel, ainsi que cela avait été jugé par la Cour de cassation le 20 février 2008 et le 25 mai 2011. Mais deux arrêts récents rendus en matière sociale sèment le trouble. Le premier a été rendu le 3 décembre 2013 par la Cour d’Appel de Rouen (réf. 13/01279) et le second le 15 janvier 2014 par la Cour de Cassation (réf. 12-22944).
Que dit la Cour de Rouen ? Que l’activité dans le cadre d’un contrat de franchise (en l’espèce le réseau QUICK) ne suffit pas à démontrer l’absence de possibilité de permutation de personnel.
Que dit la Cour de Cassation ? Que l’activité dans le cadre d’un contrat de franchise (en l’espèce le réseau LA COMPAGNIE DES PETITS) ne suffit pas à démontrer l’absence de possibilités de permutation de personnel.
L’identité des termes employés par deux juridictions de degré différent démontre qu’il s’agit d’une doctrine jurisprudentielle forte ; l’obligation de reclassement qui était autrefois appréciée au niveau de l’entreprise elle-même, puis au niveau du groupe lorsque cette entreprise appartenait à un groupe, doit maintenant être envisagée au niveau d’un réseau, même s’il n’existe aucun lien capitalistique entre les différentes unités d’un réseau de franchise.
On le comprend à la lecture de ces deux décisions, les employeurs qui avaient la qualité de franchisés se retranchaient derrière leur qualité de commerçant indépendant -caractéristique du contrat de franchise- pour affirmer que l’obligation de reclassement devait être envisagée au seul niveau de l’entreprise franchisée (ou lorsqu’un franchisé détient plusieurs points de vente, au niveau du petit groupe constitué par ces diverses entités reliées entre elles par un lien capitalistique).
Ceci n’est pas un argument suffisant pour le Juge du contrat de travail qui considère maintenant que l’appartenance à un réseau de franchise n’est pas en soi de nature à démontrer l’absence de possibilité de permutation du personnel.
L’arrêt de la cour d’appel de Rouen précise
Dans l’affaire jugée par la Cour d’Appel de Rouen qui mettait en cause un franchisé du réseau QUICK, l’arrêt apporte quelques précisions intéressantes :
Le message que véhicule cette décision n’est pas dénué d’intérêt
Il s’agit de dire aux réseaux (de la tête de réseau jusqu’à la base) que les caractéristiques du système de franchise devraient en principe justifier la mise en place d’un mécanisme de permutation du personnel ; que rien en tout cas n’y fait obstacle. Car un mécanisme de permutation du personnel est plutôt une bonne chose pour la protection du secret du savoir-faire et la mise en œuvre de ce savoir-faire au sein des unités franchisées : celui qui a été formé au savoir-faire d’un réseau, n’a-t-on pas tout intérêt à le conserver au sein de ce même réseau pour qu’il fasse profiter l’employeur de son expérience réseau, et pour éviter qu’il n’aille révéler au sein d’un réseau concurrent les secrets d’un savoir-faire protégé ?
Au-delà de la prise en compte de l’intérêt des salariés, c’est un message qui est adressé à l’ensemble des réseaux de franchise : plutôt que de vous retrancher frileusement derrière l’argument juridique consistant à dire que chaque franchisé est indépendant et qu’il ne peut y avoir d’obligation de reclassement puisqu’il n’existe pas de groupe, ne devriez-vous pas organiser un système de permutation des salariés qui, au-delà de l’intérêt de ces salariés en favorisant leur reclassement au sein du réseau, serait profitable au réseau tout entier ?
Sur le plan pratique, il s’agira de mettre en place un système d’interrogation des unités du réseau toutes les fois que l’obligation de reclassement viendra à se présenter. Rappelons que l’obligation de reclassement est une obligation de moyen et non pas une obligation de résultat, cela suppose donc que toutes les fois qu’une obligation de reclassement doit être mise en œuvre, l’ensemble des unités du réseau soient interrogées sur les possibilités d’offrir un emploi au salarié dont le contrat doit être rompu. Bien entendu, cela ne s’applique pas aux ruptures de contrat de travail pour faute mais aux licenciements pour motif économique ou aux licenciements pour inaptitude physique.
On est ici à la croisée des chemins : résister au courant jurisprudentiel qui paraît maintenant nettement marqué serait peut être justifié du point de vue d’une certaine orthodoxie juridique, mais cela risque de coûter cher dès lors que des licenciements opérés sans que n’ait été posée la question d’un possible reclassement au sein du réseau seront requalifiés en licenciement sans cause réelle ni sérieuse.
Mettre en place un système de reclassement au sein du réseau, même si c’est contestable d’un point de vue juridique, est en tout cas la solution qui nous est clairement désignée par le Juge du contrat de travail et par la Cour de Cassation.
Par Olivier Meyer Avocat spécialiste en droit du travail Cabinet DM&D Avocats, Paris