A la différence de la solution retenue en cas de rupture brutale de relations commerciales établies, la Cour d’appel de Paris tient compte de la reconversion de la victime dans l’évaluation du préjudice indemnisable sur le fondement contractuel.
Deux sociétés, l’importateur d’une marque et un concessionnaire et réparateur, ont conclu en 2008 et 2010 deux contrats de concession et de réparateur agréé de la marque, pour deux sites distincts et pour une durée indéterminée.
Chacun des contrats prévoyait une clause de résiliation, aux termes de laquelle une résiliation de plein droit était possible en cas de manquement par l’une des parties à ses obligations contractuelles, de façon grave et répétée. La résiliation était encore possible en l’absence de motif, sous réserve de respecter un préavis de 24 mois.
En 2012, l’importateur a informé le concessionnaire et réparateur agréé de sa volonté de résilier les contrats à durée indéterminée, en respectant le préavis contractuel de 24 mois. En réponse, le concessionnaire a notifié à son cocontractant sa décision de mettre un terme à l’exploitation de l’un des deux sites, sans respect du préavis, au motif que ce point de vente présentait des résultats déficitaires. Après une ultime mise en demeure restée sans réponse, l’importateur a assigné son ancien cocontractant sur le fondement de la responsabilité contractuelle devant le tribunal de grande instance de Paris, afin d’obtenir notamment sa condamnation au paiement de diverses sommes. Il était en outre demandé au tribunal de le condamner à payer des dommages-intérêts au titre des 23 mois de préavis n’ayant pas été exécutés, le concessionnaire ne justifiant d’aucun motif sérieux permettant cette rupture anticipée. Par jugement du 25 juin 2015, le tribunal de grande instance a notamment condamné le concessionnaire au paiement de 80.000 € au titre du préjudice financier subi par l’importateur en raison de la rupture de la relation commerciale, évalué à la marge brute perdue durant les 23 mois du préavis non respecté.
Relevant appel de ce jugement, le concessionnaire contestait le caractère abusif de la rupture du contrat. Par ailleurs, il demandait à la Cour d’appel de Paris de limiter le montant des dommages-intérêts alloués au titre du préjudice financier.
La Cour d’appel de Paris déboute le concessionnaire, jugeant fautive la rupture de la relation commerciale à son initiative. Toutefois, sur le point de l’évaluation du préjudice, la Cour d’appel retient que :
- Les dommages-intérêts alloués à une victime « doivent réparer le préjudice subi, sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit » ;
- Le préjudice de l’intimé doit donc correspondre à la perte de marge brute effectivement subie. Partant, la Cour d’appel de Paris relève que l’importateur avait désigné durant la durée de préavis contractuel un nouveau concessionnaire, de sorte que la perte de marge brute sur coûts variables se limitait à 14 mois, et non 23.
En matière contractuelle, la Cour d’appel de Paris admet donc la prise en compte de la reconversion de la victime de la rupture de la relation commerciale dans l’évaluation du préjudice. A contrario, sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce sanctionnant la rupture brutale de relation commerciale établie, la Cour de cassation refuse systématiquement de prendre en compte un quelconque évènement postérieur à la rupture, tel qu’une reconversion de la victime (Cass. com., 5 juillet 2017, pourvoi n°16-14201).
En outre, dans les fiches méthodologiques publiées par la Cour d’appel de Paris en octobre 2017, il était clairement indiqué que « la reconversion effective de la victime, intervenue après la rupture, ne peut venir modérer l’évaluation de ce gain manqué », par référence à la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui exige une évaluation du préjudice au moment de la rupture.
Cette dualité de régimes est source d’insécurité juridique et n’est donc pas satisfaisante ; il serait préférable de se tourner vers une convergence des solutions permettant à la victime d’obtenir l’indemnisation du préjudice effectivement subi apprécié au jour de l’introduction de son instance, indépendamment du fondement juridique choisi.
Article de Jérôme Guillé, avocat département et Shéhérazade Escourrou, élève-avocat du département
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