Management – De commerçant, ils deviennent succursalistes. Ce changement de dimension implique aussi une nouvelle approche de leur activité et de leurs salariés.
Demi-tour droite ! À peine arrivé dans son magasin de la périphérie d’Amiens, pour une visite de routine, Laurent Maté, patron de quatre Rapid Flore, est appelé par un autre de ses points de vente, situé à l’opposé de la ville : un salarié malade, conjugué à une forte affluence ce jour-là, nécessite sa présence. Quelle que soit la raison, ces va-et-vient entre magasins sont le quotidien des patrons multisites, qui n’a plus grand-chose à voir avec leur vie de commerçant « d’avant », passée quotidiennement sur site, au contact des clients. « Il devient un succursaliste, avec des exigences en terme d’organisation, de recrutement et de gestion », résume Jean Samper, dirigeant d’AC Franchise. Autrement dit, il n’exploite plus, il dirige. Il n’est plus posté mais doit apprendre à gérer à distance la performance, tel un patron de chaîne.
La perspective séduit nombre de franchisés. C’est une manière de répartir le risque, mais aussi « d’augmenter sa visibilité et de dégager des synergies, des équipes étoffées donnant de la souplesse », explique Laurence Brochet, responsable de formation de La Mie câline. Parfois, c’est tout simplement l’occasion qui fait le larron. Un local se libère, un concurrent menace d’arriver. Il faut contrer. Dans tous les cas, la gestion de plusieurs points de vente exige l’adoption de nouvelles attitudes. À commencer, faute de don d’ubiquité, par une délégation de la partie opérationnelle à une personne de confiance. « Se consacrer à d’autres projets nécessite de la disponibilité. Ce n’est pas en ayant le nez dans le guidon quotidiennement que l’on peut faire la gestion, observer la concurrence, penser aux achats et à de nouveaux projets », analyse Laurent Maté.
La démarche n’est pas toujours évidente pour des gens qui gardent une relation charnelle à leur commerce. « Celui qui veut tout maîtriser va accumuler du stress et développer un autoritarisme qui peut être fatal à la cohésion d’équipe et à la performance du point de vente », prévient François Peltier, associé du cabinet de conseil Actas.
Encore faut-il trouver la personne idoine. Celle qui aura le « peps » suffisant pour entraîner les équipes et gérera le point de vente avec autant de dévouement que s’il lui appartenait. Certains trouvent cette perle rare en interne. Une bonne façon de donner des perspectives. D’autres devront la dénicher à l’extérieur. Mais plus les magasins sont éloignés et l’autogestion envisagée, plus la personne devra être impliquée. L’essentiel sera donc de trouver les ressorts suffisants de sa motivation. Certains utilisent une solution qui fait de plus en plus d’émules : rendre ses salariés actionnaires. Ainsi, dans les deux magasins dijonnais Bo Concept que possède Philippe Guyard, les directeurs détiennent 10 % du capital. Un petit pactole qui, à terme, peut leur ouvrir la perspective d’exploiter en propre un magasin. « Nous recommandons des systèmes de rémunérations incitatifs, notamment via le variable », explique le dirigeant, qui est aussi le représentant du franchiseur danois en France.
Pascal Lempereur, qui ouvrira un second magasin Bo Concept dans l’ouest de l’Hexagone en octobre, recrute actuellement son futur directeur, « de sorte qu’il ait le temps de faire ses armes dans le premier magasin rennais, et ensuite de composer sa propre équipe ».
Anticipation encore pour composer le reste de l’équipe et la préparer. On évitera ainsi d’essuyer les plâtres, quitte à les placer en doublon dans le premier magasin plusieurs mois avant la nouvelle ouverture. Tous ont un principe simple : ne pas dépouiller le premier magasin de ses forces vives pour les envoyer dans le second, ou encore se retrouver avec deux équipes nouvelles. Le premier magasin doit demeurer d’autant plus solide que le dirigeant sera accaparé à plein temps pour mettre le nouveau sur les rails. René Habas, propriétaire de deux boutiques La Mie câline, à quelques centaines de mètres l’une de l’autre, a tranché. Il a mis à la tête de chacun de ses magasins, deux salariés qui étaient moteurs dans le premier magasin et à qui il souhaitait donner des responsabilités. Il a organisé les deux équipes autour de ces piliers tout en leur délégant les aspects techniques et commerciaux, les plannings quotidiens, et en conservant la partie recrutement et gestion du personnel.
Aucun des patrons multisites ne se définit comme un simple investisseur et n’entend perdre pied avec le terrain. Il s’agit d’avoir l’oeil partout sans être physiquement là. Téléphone portable, ordinateur, et autres Blackberry ne les quittent pas, le tout étant de contrôler la délégation. Cela suppose aussi de normer certaines tâches, et standardiser des attitudes et des réflexes qui ont fait leurs preuves. « Les multisites doivent travailler avec des enseignes qui ont mis en place des outils et procédures de contrôle à distance et des tableaux de bord », conseille Jean Samper.
Mais comme rien ne remplace les visites, certains passent beaucoup de temps au volant de leur voiture pour s’assurer que tout fonctionne. Chantal Barbé – neuf centres de lavage Eléphant bleu à son actif – enquille ainsi près de 5 500 kilomètres par mois pour vérifier que tout fonctionne, avec des magasins distants de 150 kilomètres qu’elle visite deux fois par semaine. « C’est notre côté VRP », s’amuse cette franchisée nancéenne qui va bientôt ouvrir son 10e centre dans la région. Des visites qui peuvent durer de quinze minutes à… cinq heures. Quand le terrain vous tient !
Vu dans LSA : un article écrit par NADÈGE JOYAUX
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