On le sait, l’autorité de la concurrence admet difficilement les restrictions de concurrence de type approvisionnement exclusif ou clause de non affiliation dans les franchises de distribution alimentaire. La cour de Paris lui emboite allègrement le pas.
Par une première décision en date du 6 mars 2013, la cour de Paris a statué après renvoi de cassation et avis de l’autorité de la concurrence. Le 9 juillet 2012, cette dernière avait estimé qu’aucun savoir-faire secret, substantiel et identifié ne justifiait la protection par une clause de non affiliation. Elle soulignait alors « qu’en interdisant à la fois à son ancien franchisé d’apposer une enseigne de renommée nationale ou régionale et de commercialiser des marques de distributeurs liés à une enseigne, la clause de non affiliation, d’une durée de trois ans, figurant dans le contrat de franchise portant sur le magasin de Bouffémont est susceptible d’amoindrir la pression concurrentielle que ce magasin sorti du réseau SHOPI, pourrait exercer égard des autres magasins présents dans la même zone de chalandise. »
Elle concluait en considérant qu’il s’agissait là d’une restriction de concurrence prohibée par l’article L. 420-un du code de commerce.
A la lumière de cet avis, la cour de Paris énonce d’abord une position intéressante : les clauses restrictives de concurrence sont inhérentes à la franchise. Puis elle pondère : elles doivent être proportionnées à l’objectif qu’elles poursuivent, protéger le savoir-faire transmis, qui ne doit profiter qu’aux membres du réseau, en laissant au franchiseur le temps de réinstaller un franchisé dans la zone d’exclusivité. La Cour constate en premier lieu que la clause n’est applicable qu’en cas de résiliation anticipée aux torts ou à l’initiative du franchisé. Elle n’existerait en l’espèce que comme une sanction et non réellement comme une protection.
Elle juge ensuite limitée la consistance du savoir-faire allégué par le franchiseur. Elle note que celui-ci serait, selon les déclarations mêmes de ce dernier, centré sur la politique de promotion de l’enseigne (assistance, conseil en rayon, logiciel de gestion, assortiment, cadenciers, promotion, politique tarifaire). Elle retient que ces éléments sont abandonnés au profit du nouveau franchiseur quand un franchisé s’affilie à une autre enseigne. Elle invoque la faible technicité, la faible spécificité et la faible originalité du savoir-faire, pour en déduire que l’obligation de non affiliation n’est pas indispensable à sa protection. Elle retient en outre le caractère disproportionné au but poursuivi, de la durée de la clause (trois ans). Elle en déduit que la clause constitue une entente anticoncurrentielle contraire à l’article L 420-1 du code de commerce, en reprochant au surplus au franchiseur de ne pas démontrer une contribution au progrès économique de nature à la justifier.
Bien difficile pour un juge qui ne s’immisce pas dans la gestion journalière des unités franchisées, de se prononcer sur la qualité d’un savoir-faire. Il a été jugé depuis longtemps que le savoir-faire n’a pas à être globalement original, mais que c’est l’assemblage de ses éléments qui doit le rendre difficilement accessible pour les tiers. En l’espèce il n’y a eu aucune expertise sur le savoir-faire concerné, ce qui fragilise le raisonnement de la Cour.
Par une autre décision du 3 avril 2013, la cour d’appel de Paris confirme le sort – pour l’heure particulier – réservé à la distribution alimentaire. Ce, en matière d’approvisionnement exclusif et de non-concurrence.
Sur le premier sujet, elle a estimé qu’en matière de distribution alimentaire l’exclusivité d’approvisionnement ne peut viser que les marchandises spécifiques au réseau qui sont notamment les marques de distributeurs. L’objectif du maintien de l’identité commune et de la réputation de l’enseigne autorise le franchiseur à exercer un contrôle sur l’assortiment minimum du franchisé dans ses marques propres, afin de garantir aux clients la présence des produits de marque. Toutefois, interdire tout approvisionnement auprès de centrales d’achat concurrentes même si les produits ne se distinguent absolument pas les uns des autres, saufs par les prix, s’avère, selon la Cour, disproportionné à la défense des intérêts légitimes du franchiseur et constitue une clause anticoncurrentielle non proportionnée aux nécessités de la protection du savoir-faire du réseau.
En l’espèce, la Cour reproche à la clause de viser en réalité à garantir l’approvisionnement intégral du magasin Shopi, en empêchant le franchisé de bénéficier de prix plus intéressants. Toutefois, elle ne retient pas expressément ce fondement pour exclure l’application de la clause. Elle la juge insuffisamment claire. Et si la clause avait été limpide la possibilité d’acheter les produits ailleurs s’ils étaient moins chers, eut-elle été validée ? On n’a pas ici la réponse, mais il est patent que la Cour retient le sort particulier conféré à la distribution alimentaire par l’autorité de la concurrence. Espérons sur ce plan de l’approvisionnement exclusif que cela sera un cas isolé. En effet, l’approvisionnement exclusif favorise le réseau. Économies d’échelle, prix plus bas, relations privilégiées avec les fournisseurs qui permettent des réassorts plus faciles ; autant d’éléments qui légitiment l’approvisionnement exclusif dès lors que le prix est a minima conforme au marché et si possible plus avantageux.