Du déséquilibre significatif… à la discrimination ? Cour d’appel de Paris, 1er juillet 2015, RG n° 13/19251
La cour d’appel de Paris dans un arrêt du 1er juillet 2015 infirme le jugement qu’avait rendu le tribunal de commerce de Paris le 24 septembre 2013 (RG n°2011/058615) en faveur d’un groupement d’achats poursuivi par le Ministre de l’économie pour avoir créé un déséquilibre significatif au profit des distributeurs et au détriment des fournisseurs (C. com., art. L. 442-6, I, 2°).
La cour admet d’abord, comme les premiers juges, la recevabilité de l’action du Ministre contestée au motif que les mêmes demandes pouvant être présentées par le fournisseur, ce dernier était ainsi privé de son droit d’agir. Pour la Cour, « l’action du Ministre et celles des fournisseurs sont des actions autonomes, l’action du Ministre, qui agit en défense de l’ordre public économique et pour la protection du fonctionnement du marché et de la concurrence afin de faire cesser une pratique contractuelle contraire à l’ordre public, ne se substitue pas à celle des partenaires commerciaux, qui agissent pour la défense de leurs intérêts particuliers ».
La cour relève ensuite un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
Elle souligne, dans un considérant qui fera certainement débat, que « la libre négociabilité des conditions de vente […] n’a pas supprimé la nécessité de contrepartie ou de justification aux obligations prises par les cocontractants […] ; que la réduction de prix accordée par le fournisseur doit avoir pour cause l’obligation prise par le distributeur à l’égard du fournisseur » ; en particulier que les réductions de prix inconditionnelles doivent « être causées par une obligation spécifique à la charge du distributeur exécutée à la date de la vente ».
Elle analyse alors les stipulations créant selon elle un déséquilibre significatif en raison de l’absence de contrepartie raisonnable, et particulièrement celles prévoyant :
- des ristournes conditionnelles sans qu’aucune condition soit fixée ;
- des remises de fin d’année subordonnées à la réalisation d’un chiffre d’affaires « dont le montant ne représente qu’une part congrue » de celui réalisé l’année précédant celle de la stipulation ; le taux de remise pouvant atteindre 14,5% étant considéré comme « suffisamment important pour être qualifié de significatif » ;
- le versement d’acomptes mensuels pour le paiement de la remise de fin d’année, réalisé donc avant livraison des produits et constituant ainsi une avance de trésorerie au profit du distributeur.
Elle estime que la « soumission » des fournisseurs, visée par l’article L. 442-6, I, 2°, résulte d’un « faisceau d’indices » constitué notamment par le contexte des relations fournisseur-distributeur, l’utilisation systématique de contrats types pré-rédigés par le distributeur et signés par les fournisseurs sans modification.
Elle condamne le distributeur à restituer aux fournisseurs, par l’intermédiaire du Trésor public, les sommes indûment perçues et à payer une amende de 2 millions d’euros, au lieu de 15 millions d’euros demandés par le Ministre, car la pratique illicite n’avait été imposée qu’à un nombre limité de fournisseurs.